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Numerus clausus: une "absurdité" d'une "inutilité flagrante"

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Date: 
Lu, 27/05/2013 - 09:00
auteur: 
Catherine Le Borgne
Chapeau: 

Plus de 30 % des nouveaux inscrits à l’Ordre entre 2009 et 2012 avaient des diplômes d’origine étrangère. Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, président de l’Union régionale des médecins du Languedoc-Roussillon, cet état des lieux signe l’absurdité de notre numerus clausus à la française, constamment détourné.

contenu: 

Plus de 30 % des nouveaux inscrits à l’Ordre entre 2009 et 2012 avaient des diplômes d’origine étrangère. Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, président de l’Union régionale des médecins du Languedoc-Roussillon, cet état des lieux signe l’absurdité de notre numerus clausus à la française, constamment détourné.

 

Egora.fr : Lors des 2e Rencontres pour une santé durable organisées par l’union régionale des médecins du Languedoc-Roussillon, que vous présidez, vous avez déclaré que le numerus clausus était “absurde” et d’une “inutilité flagrante”. Pourquoi ?

Dr. Jean-Paul Ortiz : Il faut  revenir à l’origine du numerus clausus. Il a été créé dans l’optique de réguler l’activité médicale pour la prémunir d’une inflation du nombre de médecins - sans que l’on ne s’intéresse d’ailleurs à la répartition par spécialités ou par zones géographiques - car les autorités rendaient le nombre de médecins responsable de l’augmentation des dépense de santé, sans que l’on tienne compte de l’impact du progrès médical ou des besoins. Bref, les gouvernements de droite comme de gauche ont pensé pouvoir réguler les dépenses de santé en fermant le robinet. Je rappelle que nous sommes descendus jusqu’au chiffre de 3 400 étudiants par an autorisés à accéder en deuxième année de médecine.

De Jean-François Mattei à Xavier Bertrand, les ministres de la santé ont ensuite réouvert le numerus clausus et nous sommes maintenant au chiffre de 7 000. Mais il faut dix à douze ans pour former un médecin au bas mot et lorsqu’on analyse de près les chiffres du conseil de l’Ordre des médecins, on réalise que l’âge moyen d’installation des médecins généralistes est de 38 ans, et de 41 ans pour les spécialistes. C’est un premier point.

J’ai par ailleurs, été particulièrement frappé par l’origine des diplômes des médecins qui s’inscrivent auprès du conseil de l’Ordre. Entre 2009 et 2012, les facultés françaises n’ont délivré que 52 % des diplômes en spécialités médicales, 57 %  en spécialités chirurgicales !  La proportion est beaucoup plus élevée en médecine générale, ce qui est normal car s’y ajoutent la régularisation des autres spécialités non issus du DES. Au final, sur les quatre dernières années, on arrive à une situation où seulement  67 % des médecins nouvellement inscrits sont issus d’une formation dans une faculté française. Pour faire simple, le numerus clausus est contourné par un tiers des nouveaux inscrits en France.

 

C’est une très grosse proportion !

Eh oui, surtout si l’on prend en compte la difficulté de cette première année de médecine ainsi que l’aberration du contenu et de la forme de la sélection par QCM. Une anecdote : un de mes amis médecin donne des cours en première année. Je l’ai rencontré alors qu’il se disait “dégouté, proche de la démission”, car les propositions de sujet qu’il a transmis pour le concours ont été sèchement refusées par ses collègues, au motif que ses questions étaient trop simples. On lui a demandé de réécrire les mêmes questions avec des doubles négations de manière à les rendre suffisamment ambigües pour gêner la compréhension des étudiants. Vous vous rendez- compte ? On est dans une logique de sélectionner presque par l’absurde un certain nombre d’étudiant perclus de connaissances, pour un nombre ultra-limité d’admis. Et au final, on a un tiers des nouveaux qui sont formés ailleurs.

En spécialité médicale, c’est presque la moitié, pour 18 spécialités ! On assassine des gamins en 1ère année de médecine qui ont eu mention très bien au Bac, et qui rêvent d’être médecins ! Il faut savoir que c’est dans les facultés de médecine qu’on recense le plus grand nombre de suicides en première année ! A un moment donné, il va falloir se poser les bonnes questions : à quoi sert ce numerus clausus, contourné dans de telles proportions ? Est-il logique de maintenir un système qui a une valeur illusoire à l’échelon de l’Europe ? Ces questions, on les sent monter depuis longtemps dans notre milieu professionnel. Nous les avons partagées avec des interlocuteurs et des auditeurs de toutes origines, lors de nos rencontres pour une santé durable. Il va vraiment falloir se remettre tous ensemble autour d’une table pour réfléchir. La formation de nos facultés françaises en médecine, c’est un constat d’échec le plus complet, dès la première année. La réalité, c’est que les jeunes qui ont les moyens vont faire leurs études de médecine à Cluj en Roumanie pour revenir ensuite en France.

 

Considérez-vous comme un des symptômes de cette “déliquescence”, l’implantation en France de la faculté privée Pessoa ?

Oui, car les choses sont vues à l’échelle européenne. Il ne faut pas s’étonner si d’autres pays européens tentent de venir s’implanter en France : ils sont au courant de cette déliquescence.  Ce que je condamne complètement. Il faut absolument éviter cette dérive. Il faut aussi savoir que ce n’est qu’en France qu’il faut avoir obtenu 15 de moyenne pour accéder en deuxième année de médecine, partout ailleurs, on ne demande que la simple moyenne.

Ce numerus clausus n’est appliqué qu’en France, dans de nombreux pays, la sélection se fait juste après le Bac. L’étudiant admis en faculté termine toujours ses études. Ensuite, le contenu des formations n’est pas le même. Les différentes formations délivrées dans les pays européens, n’ont pas un contenu identique, et donc la pensée médicale n’est pas tout à fait la même en France que dans d’autres pays européens. C’est culturel : l’approche de la fin de vie, de la douleur, de la mort, les soins palliatifs, etc, sont des éléments issus d’un consensus social né de notre culture française. Sans poser aucun élément de jugement, la façon de raisonner n’est pas la même dans d’autres pays européens ou extra-européens. Donc, les valeurs de la pensée médicale, de l’éthique, notre creuset commun, risquent de se diluer dans cet apport extérieur où la culture et la pensée diffèrent.

 

Vous relevez également la faible proportion de nouveaux diplômés souhaitant s’inscrire en libéral.

Oui, si l’on regarde au bout de cinq ans ce que les jeunes inscrits sont devenus, on voit qu’ils ne sont que 38 % environ à être installés en libéral. Il y a une faible attractivité du secteur libéral aujourd’hui. Cela tient à des facteurs d’organisation, de proximité, ce qui nous renvoie à deux notions : il faut que la formation intègre des valeurs d’organisation et de management, ce dont elle ne bénéficie pas, car on ne s’installe pas dans une équipe ou dans un cabinet de groupe et a fortiori une maison pluridisciplinaire, sans avoir quelques notions de management d’équipe et d’organisation du système de santé.

En outre, la médecine libérale, les jeunes confrères ne la connaissent pas car la proportion de stages est extrêmement faible, et même est quasi inexistante en médecine spécialisée libérale ! Il nous faut réfléchir à de nouvelles modalités d’organisation professionnelle construites autour du regroupement, soit en cabinet de groupe, soit en structures pluri professionnelles. Le médecin doit devenir un entrepreneur médical.

 

Pour aller plus loin : le dossier de presse des deuxièmes rencontres pour une santé durable.


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